Avec l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme créé par la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006, le législateur a souhaité ouvrir la possibilité pour le juge de ne pouvoir annuler que partiellement un permis de construire délivré pour un projet indivisible. L’idée est de permettre la censure partielle d’un projet qui n’aurait pu faire l’objet d’autorisations distinctes (cas d’un seul et même bâtiment).
Dans sa version issue de l’ordonnance du 18 juillet 2013, l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme dispose que :
« le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice n’affectant qu’une partie du projet peut être régularisé par un permis modificatif, peut limiter à cette partie la portée de l’annulation qu’il prononce et, le cas échéant, fixer le délai dans lequel le titulaire du permis pourra en demander la régularisation ».
L’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme prévoit quant à lui :
« Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé par un permis modificatif peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. Si un tel permis modificatif est notifié dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations »
Les dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme ont pour objet de permettre au juge administratif de surseoir à statuer sur une demande d’annulation d’un permis de construire lorsque le vice entraînant l’illégalité de ce permis est susceptible d’être régularisé.
Le Conseil d’Etat a jugé le 22 février 2017 que ces dispositions ne subordonnent pas, par principe, cette faculté de régularisation à la condition que les travaux autorisés par le permis de construire initial n’aient pas été achevés.
Les faits de l’espèce sont les suivants.
Une SCI a obtenu un permis de construire un immeuble de bureaux et commerces dans une ZAC, délivré le 18 décembre 2007 par le maire de Baie-Mahault, commune de Guadeloupe.
3 voisins du projet, des particuliers, reprochaient au dossier de demande de permis des absences d’informations, des insuffisances au regard de l’importance du projet, des incertitudes sur le contenu même de l’assiette et de la construction projetée sur celle-ci ainsi qu’un dépassement de hauteur règlementaire. Le 25 janvier 2008 ils saisissent le juge administratif guadeloupéen.
3 ans ½ après…Le tribunal administratif de Guadeloupe a rejeté leur requête par un jugement N° 0800091 du 20 septembre 2012, aucun des moyens soumis ne semblaient fondés pour le juge.
La construction attaquée était achevée.
Les voisins requérants malheureux ont fait appel devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux, juridiction compétente.
Près de 2 ans après, par arrêt du 12 juin 2014 avant dire droit sur les conclusions des appelants, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a sursis à statuer sur les moyens tenant aux insuffisances du dossier de demande soulevé par les voisins contre l’arrêté de permis de construire et a imparti à la SCI bénéficiaire du permis de construire un délai de trois mois à compter de la notification de l’arrêt aux fins d’obtenir la régularisation du permis de construire initialement délivré sur 3 points :
– l’absence, au dossier de demande de permis de construire, du cahier des charges de cession de terrain indiquant le nombre de mètres carrés de surface de plancher dont la construction était autorisée sur la parcelle,
– l’insuffisance de la notice de présentation du projet sur la description du terrain et de ses abords
– l’insuffisance du dossier quant aux dispositions prises pour assurer l’évacuation des eaux pluviales.
La SCI a indiqué avoir obtenu un permis de construire modificatif en date du 5 août 2014, dans le délai de 3 mois requis.
Immédiatement les voisins ont conclu aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens et soutenaient en outre qu’il n’était pas possible de délivrer un permis de construire modificatif dès lors que la construction est achevée comme en l’espèce.
Après la délivrance du permis modificatif, le juge bordelais a estimé, par un deuxième arrêt, que les requérants ne pouvaient utilement se prévaloir, pour contester la légalité de la régularisation, de la seule circonstance que la construction objet du permis contesté aurait été achevée (CAA Bordeaux, 9 juill. 2015, n° 12BX02902).
En analysant les 3 modifications, la Cour a jugé que le permis avait été correctement régularisé.
Les voisins ont effectué un pourvoi en cassation dans la mesure où par sa décision du 1er octobre 2015, Commune de Toulouse (CE, n° 374338), le Conseil d’Etat dans un soucis de cohérence, a jugé que les dispositions l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme qui « permettent au juge de l’excès de pouvoir de procéder à l’annulation partielle d’une autorisation d’urbanisme dans le cas où l’illégalité affecte une partie identifiable du projet et peut être régularisée par un permis modificatif. L’application de ces dispositions n’est pas subordonnée à la condition que la partie du projet affectée par le vice soit matériellement détachable du reste du projet. […] La seule circonstance que les modifications apportées au projet initial pour remédier au vice d’illégalité portent sur des éléments tels que son implantation, ses dimensions ou son apparence ne fait pas, par elle-même, obstacle à ce qu’elles fassent l’objet d’un permis modificatif ». Sans aller jusqu’à regarder une régularisation complète après achèvement des travaux, l’annulation partielle permettait de remédier aux difficultés des permis et les bénéficiaires devaient retourner devant l’autorité compétente pour se voir de nouveau autoriser à construire sur les points en difficulté.
Allant beaucoup plus loin, le Conseil d’Etat juge désormais que L. 600-5-1 du code de l’urbanisme ne subordonne pas, par principe, cette faculté de régularisation à la condition que les travaux autorisés par le permis de construire initial n’aient pas été achevés.
Ainsi il appartient au juge administratif, pour faire usage des pouvoirs qui lui sont ainsi dévolus, d’apprécier si, eu égard à la nature et à la portée du vice entraînant son illégalité, cette régularisation est possible.
Dès lors, les opposants à une régularisation de permis ne pouvaient utilement se prévaloir, pour contester la légalité de la régularisation, de la seule circonstance que la construction objet du permis contesté aurait été achevée.