Un Maire peut-il interdire de faire sonner les cloches de l’église de son village?
En 2006 deux habitants voisins de l’église de la Commune de Boissettes demandent au maire de Boissettes (Seine-et-Marne) de mettre fin aux sonneries civiles des cloches de l’église.
Le maire refuse.
En 2009 le conseil municipal a décidé qu’il serait procédé à ces sonneries entre 6 heures et 23 heures. Les deux habitants ont saisi le Tribunal administratif de Melun.
Par un jugement n° 0605038 du 1er juillet 2010, le tribunal administratif a fait droit à leur demande en annulant les décisions en cause et en enjoignant au maire d’abroger la réglementation autorisant les sonneries civiles autres que les sonneries d’alarme et les sonneries prescrites par les textes et règlements.
En effet, il résulte de l’article 51 du décret du 16 mars 1906, pris pour l’application de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État :
« en tant qu’il régit l’usage civil des cloches et non leur usage religieux, qu’à l’exception des sonneries d’alarmes et des sonneries prescrites par les lois et règlements, les cloches des édifices servant à l’exercice public du culte ne peuvent être employées à des fins civiles qu’à condition que leurs sonneries soient autorisées par les usages locaux ».
Toute la question est de savoir ce que l’on entend par « usage local ».
Dans un arrêt du 8 juillet 1910 auquel s’est conformé le tribunal administratif de Melun, le Conseil d’Etat les entendait comme ceux qui sont « antérieurs à la loi du 9 décembre 1905 » (loi de séparation de l’église et de l’Etat) – (Conseil d’Etat, 8 juillet 1910, 36765, publié au recueil Lebon).
La Commune a fait appel, contestant l’appréciation du Tribunal en estimant que l’usage local lui permettait de faire sonner les cloches de l’église.
Par un arrêt n° 10PA04789 du 5 novembre 2013, la cour administrative d’appel de Paris a rejeté l’appel et a enjoint au maire de prendre dans un délai de quinze jours un arrêté interdisant toute sonnerie civile autre que les sonneries d’alarme et les sonneries prescrites par les lois et règlements.
La Commune se pourvoit en cassation.
Par l’arrêt n°374601 du 14 octobre 2015, le Conseil d’Etat a abandonné sa conception de l’usage local comme devant être justifié avant 1905.
Selon le Conseil d’Etat, l’usage local « n’a pas à procéder d’une pratique qui existait déjà lors de l’entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 1905 et n’aurait plus été interrompue depuis lors ».
En effet, il était plus facile en 1910 qu’aujourd’hui de savoir ce qui se faisait avant 1905.
L’usage local s’entend désormais « de la pratique régulière et suffisamment durable de telles sonneries civiles dans la commune, à la condition que cette pratique n’ait pas été interrompue dans des conditions telles qu’il y ait lieu de la regarder comme abandonnée ».
Avec ce revirement de jurisprudence, en jugeant qu’un usage local des sonneries civiles de cloches, au sens des dispositions réglementaires précitées, ne pouvait procéder que d’une pratique qui existait lors de l’entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 1905 et n’avait pas été interrompue depuis lors, le Tribunal administratif de Melun et la cour administrative d’appel de Paris ont commis une erreur de droit.
L’affaire est renvoyée à la Cour administrative d’appel de Lyon afin que la Commune prouve que l’usage local lui permettait de faire sonner les cloches.