Sélection en Master : Pourquoi les juges des référés de Paris et Lyon ont finalement suspendu des refus d’admission en M2?

 

Sélection en Master : Pourquoi les juges des référés de Paris et Lyon ont finalement suspendu des refus d’admission en M2?

Le 31 juillet 2015 le juge des référés du Tribunal administratif de Nantes (Ordonnance n°155974) a suspendu un refus d’admission en Master 2 au motif que l’absence de Décret prévu à l’article L. 612-6 du code de l’éducation (à lire ici) créait un doute sérieux quant à la légalité de la décision.

Le 3 août 2015 le juge des référés du Tribunal administratif de Lyon dans une décision qui n’a pas manqué de surprendre, rejetait quant à lui une requête similaire au motif que l’article L. 612-6 du code de l’éducation ne concernait que l’admission en Master au stade de la première année et que l’article 11 de l’arrêté du 25 avril 2002 permettait au responsable du Master de choisir ses étudiants.

Le 20 août 2015, le juge des référés du Tribunal administratif de Grenoble suspendait comme à Nantes un refus d’admission en Master 2, suivi le lendemain par le juge des référés de Bordeaux par deux fois, puis ensuite Montpellier, Nice et Orléans par deux fois encore.

Or, le 27 août 2015 le juge des référés du Tribunal administratif de Paris est allé à l’encontre du courant jurisprudentiel et a suivi le juge des référés de Lyon pour rejeter une requête.

Après ces deux rejets, j’ai été mandaté pour 2 nouveaux dossiers, à Lyon puis à Paris.

Présentant la difficulté des précédentes décisions à mes clients, je leur ai démontré que les décisions présentaient trois erreurs. J’ai alors saisi de nouveau en référé les Tribunaux administratifs de Lyon et Paris en pointant ces trois erreurs.

1. La première erreur concerne d’abord l’office même du juge des référés.

En effet, en considérant que l’article L. 612-6 du code de l’éducation ne concernait que l’admission en Master au stade de la première année et l’article 11 de l’arrêté du 25 avril 2002 permettait au responsable du Master de choisir ses étudiants en deuxième année, les juges des référés ont statué « au fond ».

Or, le rôle du juge des référés n’est pas de statuer sur le fond du droit, à savoir trancher une question d’application de textes opérants, mais de dire si oui ou non l’application des textes pose problème.

Si cela n’est pas le cas, le juge rejette le recours et renvoie à la formation collégiale du Tribunal le soin de juger « au fond ».

Si le moyen de droit soulevé pose un problème d’application des textes, le juge des référés se contente d’indiquer que le moyen crée un doute sérieux, suspend la décision et laisse, là encore, le soin à la formation collégiale du Tribunal de se prononcer sur l’application des textes à la situation d’espèce, à savoir sur les refus d’admission en Master 2 après validation du Master 1.

2. La seconde erreur est d’indiquer que seul l’accès à la première année de Master est concerné par l’article L. 612-6 du code de l’éducation

En premier lieu, le Master forme un tout indivisible. Que la question concerne l’accès ou le déroulement au sein du master revient strictement au même résultat dès lors que les étudiants que je défends ont déjà accédé au master et ont validé les deux premiers semestres.

En effet c’est une erreur dès lors que le législateur raisonne, en matière d’études supérieures, en « cycle » de formation. Preuve en est aujourd’hui, l’article L. 612-1 du code de l’éducation qui prévoit : « Le déroulement des études supérieures est organisé en cycles. ».

Enfonçant le clou, le législateur continue : « Au cours de chaque cycle sont délivrés des diplômes nationaux ou des diplômes d’établissement (…). Les grades de licence, de master et de doctorat sont conférés respectivement dans le cadre du premier, du deuxième et du troisième cycle. ». Cette notion cyclique des études empêche de mettre un terme à un cycle entamé (et, dans le cas des étudiants que je défends, validé).

Beaucoup de commentateurs surpris (la plupart en moins de 140 caractères) n’ont jamais lu ces dispositions et perpétuent l’erreur selon laquelle les études ne se déroulent pas en cycle mais d’année en année et qu’il est juridiquement admissible de mettre un terme au milieu d’un cycle, sans jamais apporter une justification juridique au minimum raisonnable.

Aucun texte applicable ne scinde le cycle de Master en année. Il est toujours prévu des « semestres », des UV, des crédits mais jamais le législateur ni le pouvoir règlementaire (les gouvernements) n’ont raisonné en année.

En effet, du côté du pouvoir règlementaire, c’est l’arrêté du 22 janvier 2014 fixant le cadre national des formations Licence et Master qui prévoit : « L’offre de formation est structurée en semestres et en unités d’enseignement capitalisables. ».

En second lieu, ce principe empêchant de mettre un terme à un cycle entamé a déjà été jugé en 1994 par la plus haute juridiction administrative (CE 27 juin 1994 Université Claude Bernard n°100111 – Classé en A – c’est à dire arrêt de principe).

Le commissaire du gouvernement Schwartz concluait sous cet arrêt : « Le législateur n’a raisonné que cycle par cycle : libre accès au premier cycle (…) ; libre accès au second cycle (…) Dans ce schéma de raisonnement cycle par cycle, l’admission en maîtrise ne peut a priori faire l’objet d’un processus sélectif. La maîtrise n’est que le prolongement de la licence et sanctionne la scolarité du second cycle ouvert à tous les titulaires du D.E.U.G. ».

Pour comprendre cet arrêt, il faut avoir à l’esprit qu’à l’époque, le second cycle comprenait la Licence ET la maîtrise. Le Conseil d’Etat sanctionnant un processus sélectif au sein du second cycle, non pas seulement à l’entrée du cycle : « qu’en l’absence du décret prévu à l’article 15 précité de la loi du 26 janvier 1984, l’admission en maîtrise de biochimie ne pouvait être subordonnée au succès à un concours ou à l’examen du dossier du candidat ; ».

Le motif adopté par les juges des référés de Lyon et Paris selon lequel l’article L. 612-6 du code de l’éducation ne concernait que l’admission en Master au stade de la première année est erroné au regard de la notion cyclique.

3. La troisième erreur est de considérer que l’article 11 de l’arrêté du 25 avril 2002 est applicable aux formations de second cycle

Cet arrêté concernait le master quand celui-ci appartenait au troisième cycle au moment de son édiction. C’était un arrêté applicable au Doctorat, pas au second cycle.

Or, depuis 2007, le Master appartient au second cycle non au troisième (article L. 612-1 du code de l’éducation). On ne peut donc appliquer des dispositions au second cycle alors qu’elles ne concernent que le troisième cycle.

C’est ce qu’a jugé la formation collégiale du Tribunal administratif de Bordeaux le 5 décembre 2013 : « (…) cet arrêté, qui prévoit dans son article 2 que le master s’inscrit dans le troisième cycle, est antérieur à la réforme des études supérieures issue de la loi du 10 août 2007 qui a inclus les masters au sein du deuxième cycle, (…) ; qu’ainsi, ces dispositions ne sauraient servir de fondement légal au refus d’inscription (…) ».

Dès lors, le master du 25 avril 2002 ne peut pas s’appliquer aux étudiants de Master dans la continuité de celui-ci.

C’est au regard de ces arguments que les juges des référés des Tribunaux de Paris et de Lyon ont pu faire droit, par Ordonnance des 22 et 23 septembre 2015, aux requêtes d’étudiants dont la candidature avait été refusé en Master 2 dans les facs de… Droit (Lyon 3 et Panthéon Assas).

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