Par un arrêt du 31 mars 2015, la Cour de cassation précise le régime des contrôles d’alcoolémie sur les salariés effectués par les employeurs.
Il faut savoir que les accidents de la route représentent la première cause de décès au travail en France et près de la moitié des accidents mortels liés au travail sont des accidents de la route. L’association PSRE (Promotion et suivi de la sécurité routière en entreprise) démontre que « Plus de 90% des salariés français participent à des pots en entreprise (…). De l’alcool est proposé au cours de 70% de ces pots ».
Selon l’observatoire national interministériel de la sécurité routière, l’alcoolémie est impliquée dans un tiers des accidents mortels de la route.
Concernant l’alcool sur le lieu de travail c’est aux termes de l’article L.4121-1 du code du travail que l’employeur est tenu d’une obligation générale de sécurité envers ses salariés. Il doit prendre :
« les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs de l’établissement ».
En matière d’alcool au travail, l’article R. 4228-20 du code du travail prévoit :
« Aucune boisson alcoolisée autre que le vin, la bière, le cidre et le poiré n’est autorisée sur le lieu de travail. »
(Pour les non spécialistes, le poiré est à la poire ce que le cidre est à la pomme).
Sont donc proscrits les alcools forts tels que pastis, whysky, Get 27 ou vodka. Aucun mot sur le sort des cachuètes et des chips, lls sont donc autorisés à volonté.
Ainsi, est justifié le licenciement pour faute du salarié qui se trouve à deux reprises en état d’ébriété au travail (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 18 décembre 2012, 11-22.155).
La Cour de cassation est cependant venu juger que boire de l’alcool sur le lieu de travail lors d’un pot non autorisé par l’employeur ne constitue pas une faute grave justifiant un licenciement (Cass. soc., 15 décembre 2011, n° 10-22.712, Akers France).
Pour aider les employeurs, le décret n° 2014-754 du 1er juillet 2014 dispose que l’employeur peut prévoir dans le règlement intérieur de limiter ou d’interdire totalement la consommation d’alcool sur le lieu de travail si cette consommation « est susceptible de porter atteinte à la sécurité et la santé physique et mentale des travailleurs » et à condition que cette interdiction soit proportionnée au but recherché :
« lorsque la consommation de boissons alcoolisées (…) est susceptible de porter atteinte à la sécurité et la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur, en application de l’article L. 4121-1 du code du travail (relatif à l’obligation de sécurité de l’employeur) prévoit dans le règlement intérieur ou, à défaut, par note de service les mesures permettant de protéger la santé et la sécurité des travailleurs et de prévenir tout risque d’accident. Ces mesures, qui peuvent notamment prendre la forme d’une limitation, voire d’une interdiction de cette consommation, doivent être proportionnées au but recherché. »
Sur le rôle du règlement intérieur, l’article L. 1321-1 du code du travail précise que :
« le règlement intérieur est un document écrit par lequel l’employeur fixe exclusivement (…) les mesures d’application de la réglementation en matière d’hygiène et de sécurité dans l’entreprise ou l’établissement ».
Le Conseil d’État (CE 12 novembre 2012, n° 349365, Caterpillar France) a eu l’occasion de rappeler qu’un règlement intérieur ne peut interdire de manière générale et absolue la consommation d’alcool dans l’entreprise :
« le règlement intérieur […] ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché » (art. L.1321-3 du code du travail).
Ainsi, le Conseil d’État admet des restrictions dès lors qu’elles sont justifiées par des impératifs de santé et de sécurité.
En début d’année 2015, la Cour d’appel de Rennes a jugé qu’un contrôle d’alcoolémie est illicite si le règlement intérieur qui l’autorise n’est pas affiché à un endroit accessible.
Selon la Cour d’appel, le règlement intérieur :
« n’est pas opposable au salarié, dès lors que l’employeur ne justifie pas qu’il ait été affiché à une place convenable et aisément accessible dans les lieux de travail ainsi que dans les locaux et à la porte des locaux où se fait l’embauche».
En effet, « le salarié conteste avoir eu connaissance de l’existence du règlement intérieur et par suite des modalités de contrôle qui permettent la contestation de l’alcootest ». (Cour d’appel de Rennes, 14 janvier 2015, n° 14/00618).
Par l’arrêt du 31 mars 2015, la Cour de cassation précise le régime des contrôles d’alcoolémie sur les salariés effectués par les employeurs avec l’articulation entre le règlement intérieur et une charte de prévention (Cass. soc., 31 mars 2015, n° 13-25.436 FS+P+B).
Dans cette affaire, un ouvrier routier employé par une société d’autoroutes est licencié pour faute grave pour s’être trouvé sur son lieu de travail en état d’imprégnation alcoolique attesté par un contrôle d’alcoolémie.
Le salarié conteste la cause réelle et sérieuse de son licenciement en estimant que si le règlement intérieur autorisait l’employeur à contrôler, pour des raisons tenant à la sécurité des personnes et des biens, l’alcoolémie de certains salariés amenés à conduire des véhicules, une « charte d’entreprise » concernant « la consommation d’alcool sur le lieu de travail , à visée purement préventive, ne lui permettait pas de le sanctionner».
Les juges du Quai de l’Horloge cassent l’arrêt d’appel lui ayant donné raison et précisent que le règlement intérieur d’une société peut autoriser l’employeur à opérer, à des fins disciplinaires, des contrôles de l’état d’ébriété de certaines catégories de salariés qui, en raison de la nature de leurs fonctions, peuvent exposer les personnes et les biens à un danger.
Peu importent les dispositions d’une « charte d’entreprise » visant tout le personnel et ayant pour seul objet la prévention de l’alcoolisation sur les lieux de travail :
« le règlement intérieur (…) permettait à l’employeur d’opérer des contrôles de l’état d’imprégnation alcoolique de certaines catégories particulières de salariés auxquels appartenait l’intéressé et qui, en raison de la nature de leurs fonctions, pouvaient exposer les personnes ou les biens à un danger ».
Ensuite, le salarié licencié estimait que « le fait de soumettre un salarié à un contrôle d’alcoolémie en dehors du lieu de travail, en méconnaissance des modalités prescrites par le règlement intérieur de l’entreprise, caractérise la violation d’une liberté fondamentale emportant nullité du licenciement ».
A l’inverse, les hauts magistrats de l’ordre judiciaire jugent que le contrôle hors du lieu de travail ne constitue pas une atteinte à une liberté fondamentale emportant la nullité du licenciement dès lors qu’eu égard à l’activité du salarié, son ébriété est de nature à exposer les personnes ou les biens à un danger et que les modalités du contrôle, prévues au règlement intérieur, en permettent la contestation.
Le fait que le contrôle s’effectue hors de l’entreprise ne le rend pas irrégulier.