La guerre contre le harcèlement moral remporte une bataille, l’une des plus belles.
En effet, le Conseil d’Etat a considéré très récemment que le droit de ne pas être soumis à un harcèlement moral constitue une liberté fondamentale (CE 19 juin 2014, n°381061).
1. Les faits et la procédure
Les faits de harcèlement révélés par l’arrêt sont symptomatiques et malheureusement encore trop fréquents dans l’Administration.
Un agent d’une commune avait été mis à l’écart de son équipe, s’était vu privé de ses responsabilités d’encadrement et de l’utilisation des moyens affectés aux services techniques, sans que son aptitude professionnelle ait été mise en cause par la commune ou qu’une procédure disciplinaire ait été engagée à son encontre. L’agent avait subi une situation d’isolement et de désœuvrement engendrant chez lui un état dépressif et des perturbations dans sa vie personnelle.
Son Avocat dépose une plainte, le juge d’instruction est saisi pour ouvrir une information judiciaire. Lors des auditions, le Maire de la Commune affiche ouvertement son hostilité vis-à-vis de l’agent.
Le Tribunal correctionnel a l’a condamné le Maire à une peine de prison et au versement d’importants dommages intérêts pour la victime.
Faisant fît de la condamnation, le Maire poursuit le harcèlement et le salarié va s’enfoncer encore davantage dans la dépression.
C’est alors que le Tribunal administratif a été saisi en référé liberté et a enjoint la Commune de faire cesser en urgence le harcèlement.
Le Maire interjette appel au nom de la Commune. Le Conseil d’Etat va confirmer l’ordonnance et reconnaitre que le droit de ne pas être soumis à un harcèlement moral constitue une liberté fondamentale.
2. Le droit administratif contre le harcèlement
D’un point de vue juridique, la guerre contre le harcèlement a éclaté le 17 janvier 2002 lorsque l’article 178 de la loi n° 2002-73 dite de «modernisation sociale » a créé l’article 6 quinquiès dans la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.
La définition légale du harcèlement est ainsi rédigée :
« Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
Le Juge administratif a eu l’occasion de préciser que la responsabilité des personnes publiques peut être engagée directement au regard de l’article 6 quinquiès ou sur le terrain de la faute de service ouvrant droit à réparation aux victimes de harcèlement moral.
Ces deux fondements juridiques ne sont pas exclusifs l’un de l’autre, mais leur régime est différent.
Dans le cadre de l’article 6 quinquiès, il suffit à celui qui se prétend victime de harcèlement moral de faire naître une présomption de harcèlement moral en faisant état de faits précis et il revient alors à la collectivité publique de fournir tous éléments qui permettraient d’écarter cette présomption née du faisceau de faits ou d’indices (CE 11 juillet 2011, n°321225 Mme Montaut qui fixe le régime de la charge de la preuve en ce domaine).
Comme en matière de défaut d’entretien normal, c’est à l’Administration de prouver qu’elle peut s’exonérer de sa responsabilité.
Une décision du Conseil d’État rendue le 14 janvier 2014 est venue préciser davantage encore ce cadre juridique en indiquant que la qualification de harcèlement, au sens des dispositions de l’article 6 quinquies, pouvait être retenue dès lors que les agissements de la collectivité publique, bien que non répétés, atteignaient un certain degré de gravité (CE 14 janv. 2014, n° 362495, La Poste SA – cas de harcèlement sexuel mais dont l’analyse peut être étendue aux cas de harcèlement moral).
S’agissant du fondement tiré de la faute de service, la responsabilité de l’administration peut être engagée à raison de la dégradation des conditions de travail de ses agents, auxquels elle doit assurer des conditions de travail normales. Le décret du 10 juin 1985 relatif à l’hygiène et la sécurité dans la fonction publique territoriale, dans son article 2-1 introduit par le décret du 16 juin 2000 impose explicitement aux chefs de service de veiller à la sécurité et à la protection de la santé des agents placés sous leur autorité.
Ces dispositions assurent la transposition, au sein de la fonction publique, de la directive communautaire du 12 juin 1989 dont les dispositions avaient été traduites, pour les salariés du droit privé, par une obligation de sécurité de résultat pesant sur l’employeur.
Au-delà des fonctionnaires, cette reconnaissance doit bénéficier à tous les salariés.
En effet, si le Conseil d’Etat devance encore une fois la Cour de Cassation dans la protection des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, il est certain que le juge du Quai de l’Horloge emboîtera le pas du juge du Palais Royal.
Florent VERDIER
Avocat au Barreau de Draguignan