Les représentants de l’enseignement supérieur et de la recherche n’ont pas été enthousiasmés par le projet de décret sur la sélection en master, soumis lundi 18 avril par le gouvernement : 19 oui, 27 non et 29 abstentions. Tel est le résultat du vote du vote consultatif du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser). Pour « sécuriser la rentrée universitaire » 2016, ce décret s’appliquera néanmoins à la rentrée prochaine, ont aussitôt fait savoir les ministres dans un communiqué.
Ce texte officialise la sélection entre la première (M1) et la deuxième (M2) années du master, une particularité française. Ce sont donc 42 % des formations de master, dont la liste figure en annexe du décret, qui sont désormais « autorisées » à sélectionner à l’entrée en M2. Cette liste demeure complexe à comprendre, car il ne faut pas confondre, notamment, mention de master et spécialité…
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Nombreuses failles
Si le décret est jugé peu satisfaisant, c’est aussi parce qu’il s’agit d’une solution trouvée en urgence à un problème qui date de l’adoption, en 2002, du système des trois cycles « LMD » dans l’enseignement supérieur – licence (bac +3), master (bac +5) et doctorat (bac +8). Le bac +4, autrefois appelé diplôme de maîtrise, a ainsi été supprimé, mais il survit virtuellement, sous le nom de M1, tout comme la sélection autrefois pratiquée à l’issue de la maîtrise.
Saisi de cette question, le Conseil d’Etat a rappelé le 10 février qu’en vertu de l’article L. 612-6 du code de l’éducation, « aucune sélection ne peut être mise en place » en première ou en deuxième année de master si la formation en question ne figure pas sur « une liste limitative établie par décret ». C’est cet avis du Conseil d’Etat qui a obligé le gouvernement à s’emparer du problème, déjà connu.
Pour autant, le décret qu’il vient de prendre ne règle en rien le problème au fond, pointe l’ avocat Florent Verdier, spécialiste du sujet : « Sélectionner entre le M1 et le M2 va à l’encontre du principe du cycle inscrit dans l’article 612-1 du code de l’éducation », qu’il avait déjà invoqué pour faire annuler des refus d’inscription en deuxième année de master à l’université. Me Verdier pointe nombre d’autres failles.
Sélection rude
Ainsi, lorsqu’un étudiant change d’université entre son M1 et son M2, le décret prévoit que l’établissement d’accueil pourra évaluer les unités d’enseignement qu’il a déjà validées. Certaines universités avaient en effet menacé de fermer l’accès à leurs masters aux diplômés de licence d’autres établissements, faute de pouvoir sélectionner. « Mais un décret d’application ne peut pas créer une condition qui n’existe pas dans la loi. Si un étudiant a validé un M1 de droit patrimonial à Aix, sur quelle base un M2 de droit notarial à Lyon pourrait ne pas le reconnaître ? » interroge Me Verdier.
Le décret ne suffit pas à régler la question de la sélection en cours de cycle master : celle-ci s’opère non seulement pour l’entrée en M2, mais aussi par le biais de nombreux concours qui persistent à recruter au niveau M1. C’est notamment le cas des concours juridiques – avocat, magistrat, notaire. « Or 90 à 95 % des élèves qui préparent l’examen du barreau sont titulaires d’un M2. On devrait donc recruter au niveau master, et ce devrait être aussi le cas d’autres concours de la fonction publique, par exemple dans la santé publique », explique Tristan Bréhier, président de l’ARES (fédération nationale des associations représentatives des étudiants en sciences sociales), affiliée au deuxième syndicat étudiant, la FAGE. Les masters d’enseignement sont logés à la même enseigne : le concours a lieu à la fin du M1, et les étudiants qui le réussissent deviennent fonctionnaires stagiaires en M2. En psychologie, la sélection est également très rude, car décrocher un master 2 vaut titre pour s’établir comme psychologue clinicien.
Large concertation
Au-delà de ces filières bien identifiées, la première année du master demeure souvent généraliste, si bien que les étudiants portent ensuite leur candidature sur les deuxièmes années les plus réputées dans leur domaine, que ce soit en gestion ou en sciences notamment, d’où un effet d’embouteillage dans certains cursus, alors qu’il existe globalement suffisamment de places.
Le ministère reconnaît lui-même qu’il faut désormais trouver « une solution pérenne », et lance une concertation plus large sur le cycle de master. Sera notamment débattue la question d’une sélection à l’entrée en M1. « Nous ne sommes pas pour une sélection malthusienne », précise Jean-Louis Salzmann, président de la conférence des présidents d’université (CPU) : pour lui, il s’agit d’orienter les diplômés de licence vers un master qui leur corresponde, pas forcément celui de leur choix.
Mais les pistes de travail sont diverses. Les syndicats étudiants ont ainsi demandé lundi au Cneser de voter des motions, pour marquer leurs positions. Celle de la Fage, appuyée par PDE, indique notamment que pour « garantir à un étudiant disposant d’une licence de pouvoir accéder à un master de mention compatible, il est nécessaire de poursuivre le travail entamé sur la lisibilité de l’offre de formation, ainsi que sur la notion de compatibilité des mentions entre les cycles licence et master ». Dans celle présentée par l’Unef, « le Cneser rappelle qu’il est opposé à l’instauration de barrières sélectives entre la licence et le master, ainsi qu’au sein du cycle de master ». Des prises de positions qui montrent que, sur ce sujet sensible, un consensus reste à trouver.