Un décret qui liste les masters autorisés à choisir leurs étudiants mécontente le monde universitaire.
Au nom de la «démocratisation» et du «nécessaire renouvellement des élites», Najat Vallaud-Belkacem, la ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, avait promis une liste «très limitative» des masters autorisés à sélectionner leurs étudiants. Deux mois après ses déclarations enflammées à l’Assemblée nationale contre une sélection «rétrograde» et les «vieilles lunes», 42 % des mentions de 2e année de master (M2) – soit 1300 sur 3040 – figurent finalement dans le projet de décret soumis ce 18 avril au Cneser (Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche), organe consultatif. Ambiance électrique assurée… Car cette proportion ne satisfait personne.
Beaucoup trop importante pour les étudiants de l’Unef, opposés au principe même de sélection, tout comme le syndicat d’enseignants Snesup qui juge que l’existence même d’une telle liste risque d’«ouvrir la boîte de Pandore». Insuffisante pour les présidents d’université, confrontés, eux, au principe de réalité et à une nécessaire gestion des flux. «On ne peut accepter tous les étudiants en master», résume Gilles Roussel qui suit le dossier à la CPU (Conférence des présidents d’université). Les masters, adossés à la recherche et étroitement liés au monde professionnel, constituent la force et l’attractivité des universités. Or, ces diplômes ont des capacités d’accueil limitées et supposent des profils étudiants adaptés. «Ce décret est un pis-aller. Il ne règle rien, poursuit Gilles Roussel. La meilleure solution est de sélectionner sur des prérequis objectifs, publics, transparents et opposables, comme c’est le cas dans la plupart des pays.»
Un tabou absolu
«Comment peut-on dire que la sélection va à l’encontre de l’égalité?», s’agace Frédéric Dardel, président de Paris Descartes. Dans cette université de médecine, la première année commune aux études de santé (Paces), qui souffre de mauvaises conditions d’enseignement avec ses 2500 étudiants, car ouverte à tous les bacheliers sans condition, compte 30 % de boursiers. En 2e année, une fois la sélection opérée via le concours, ces boursiers ne sont plus que 10 %. En l’absence de sélection transparente, ce sont les éléments sociaux qui font la différence. «Avoir un logement près de la fac, pouvoir se payer des cours en parallèle, etc.», poursuit le président. Et comme beaucoup, il ajoute que les étudiants, principaux intéressés, appellent de leurs vœux la sélection, considérée comme un gage de qualité des formations.
Paradoxalement, la «liste limitative» que le ministère s’apprête à publier va être utilisée par les étudiants et leurs familles. Même si les formations qui y figurent ne sont pas forcément les plus performantes.
Comment un gouvernement de gauche, pour qui la sélection reste un tabou absolu, en vient-il finalement à la légaliser? C’est une faille juridique qui l’a placé au pied du mur. En février 2016, à la suite de plusieurs affaires portées devant les tribunaux administratifs, concernant des étudiants recalés à l’entrée d’une 2e année de master, le Conseil d’État est venu rappeler le cadre légal : contrairement à une pratique répandue depuis une quinzaine d’années, les universités ne peuvent pas sélectionner leurs étudiants en master, à moins que, comme les textes le prévoient, le ministère de l’Enseignement supérieur ne se décide enfin à publier un décret venant lister les formations dans lesquelles l’admission peut être soumise à conditions (profils, notes et dossier de l’étudiant, capacités d’accueil pédagogiques et physiques).
«Le texte devra nécessairement être revu et corrigé pour être légal. Ce n’est pas un cadeau pour les responsables de formation qui devront particulièrement motiver leur refus dans une formation» Me Florent Verdier
Il était urgent de publier ce décret, afin de «sécuriser» la rentrée prochaine, avait expliqué le ministère. Entendons par là, éviter la multiplication des recours devant la justice, dont un jeune avocat au barreau de Bordeaux, Me Florent Verdier, s’est fait une spécialité. Or, depuis la publication, la semaine dernière, du projet de décret, ce dernier se frotte les mains. Outre la liste des 1300 mentions de masters, le texte fixe les conditions d’accès pour les étudiants venus d’autres universités et d’autres mentions de master. Ce n’est pas un cadeau pour les responsables de formation qui devront particulièrement motiver leur refus dans une formation», ajoute celui qui, avant l’avis du Conseil d’État, a gagné une trentaine d’affaires.
Pour la communauté universitaire, ce «bricolage» n’est pas tenable. Il va falloir régler la question sur le fond, et non par une liste appelée à être revue tous les ans. Et sur laquelle les universités voudraient voir figurer l’ensemble de leurs masters. Thierry Mandon, secrétaire d’État à l’Enseignement supérieur, a annoncé la tenue d’une concertation sur le sujet, au lendemain de la publication du décret prévue fin mai.
Invoquant la loi Pécresse de 2007 sur l’autonomie des universités, les présidents de fac demandent, eux, qu’on leur laisse le choix d’apprécier les conditions d’accès à une formation. «Un étudiant de la licence comptabilité, contrôle, audit m’a traîné en référé car l’université exige une note de 8 sur 20 en compta pour passer en master. Il considérait qu’il s’agissait d’une sélection illégale. Nous avons gagné sur un point technique», raconte le président de Paris Descartes, dont le service juridique traite chaque année une trentaine de cas similaires.
Les présidents attendent donc un règlement rapide de la question et «une décision courageuse». Mais ils se font peu d’illusions. Le calendrier politique, avec ses échéances présidentielles, ne joue pas en leur faveur. Et il est fort probable que le prochain quinquennat hérite du bébé.