Débat de contrôle sur la politique nationale en matière d’enseignement supérieur
Ce débat était attendu depuis la loi Fioraso de 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche.
Extraits :
Patrick Hetzel. Député du Bas-Rhin (7e circonscription), professeur des universités
« (…) J’en viens aux aspects juridiques.
Il en est un qui nous préoccupe particulièrement après l’avis que le Conseil d’État a rendu il y a quelques jours au sujet des dispositifs de sélection en master et, plus précisément, de la sélection opérée entre le master 1 et le master 2. Comment comptez-vous procéder pour sécuriser les dispositifs, sachant que cet avis fait surgir un problème auquel les universités n’étaient pas confrontées jusqu’à présent. Ce problème, il se posera dès la rentrée 2016. Vous avez évoqué la piste d’un décret. Il faudra qu’il comporte une liste des formations concernées par la sélection à l’entrée, et que cette liste soit conforme à la réalité.
Vous avez certainement relevé que les sections 01, 02 et 03 du Conseil national des universités, c’est-à-dire les sections regroupant les disciplines juridiques, se sont prononcées à l’unanimité pour demander que les masters de droit bénéficient tous de ce dispositif de sélection. Il serait pertinent de leur donner satisfaction. (…) »
Laurent Degallaix. Député du Nord (21e circonscription), Membre de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, cadre bancaire,
« (…) Et après la licence, que dire de la réussite en master et du serpent de mer de la sélection des étudiants ? Le 10 février dernier, le Conseil d’État a rappelé que la sélection ne peut être organisée pour l’accès aux formations de première ou de deuxième année de master à l’université. Après cette décision, allez-vous briser le tabou de la sélection en master ? »
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.
« (…) Cessons donc d’opposer systématiquement démocratisation et exigence ! Cessons de considérer que la rareté est la condition d’un haut niveau de qualité ! Cessons de chercher, aux problèmes contemporains, des solutions d’un autre temps !
Car j’entends, contre la démocratisation, des voix s’élever, et réclamer la sélection – cela s’est encore produit à l’instant –, comme s’il s’agissait d’un remède miracle.
Sur cette question de la sélection et pour le cycle master, puisque le sujet est d’actualité, revenons à ce qu’a dit le Conseil d’État il y a quelques jours. Celui-ci a été très clair : il a précisé la portée de l’article L. 612-6 du code de l’éducation et a rappelé « qu’en vertu de cet article, l’admission à une formation relevant du deuxième cycle ne peut faire l’objet d’une sélection […] que si cette formation figure sur une liste limitative établie par décret ».
Ce faisant, il a rappelé la lettre de la loi, qui vaut aussi pour le premier cycle. Vous pouvez compter sur moi pour m’assurer que ladite liste sera très limitative. Je le précise en particulier pour répondre à Patrick Hetzel.
Cette liste sera très limitative car la sélection, profondément rétrograde, s’oppose non seulement à la démocratisation et au nécessaire renouvellement de nos élites, mais aussi, frontalement, à ce qui fait la force de l’enseignement supérieur.
Elle s’oppose à une idée qui anime chaque enseignant, à l’école, au collège, au lycée ou dans l’enseignement supérieur. Elle s’oppose à ce qui fonde l’instruction, l’éducation et l’émancipation. Elle s’oppose au progrès.
Tout d’abord, parce que la sélection n’est pas une idée neuve. C’est au contraire une réalité passée, contre laquelle la République s’est toujours battue, car la sélection ne résout rien. Elle masque. Elle abandonne. Elle laisse des millions de jeunes hors de l’enseignement supérieur. Et à ces jeunes, elle ne propose rien : elle se contente de les exclure, en espérant qu’ils se tiendront tranquilles, et qu’ils accepteront leur sort. Je ne pense pas que l’époque où régnaient l’inégalité et la reproduction sociale soit un modèle viable face aux défis actuels.
Mais, plus fondamentalement encore, la sélection repose sur ce qui est et non sur ce qui pourrait être. Elle ne voit pas de potentiel. Elle ne voit pas de progression possible pour les jeunes en question. Elle fige, au lieu de favoriser une évolution. En donnant à ceux qui ont déjà, elle n’ouvre aucune perspective et ne laisse aucune chance de progresser.
Bien sûr, je n’ignore pas les difficultés rencontrées par l’enseignement supérieur, mais je ne crois pas que nous les surmonterons en revenant à d’anciennes lubies, et les vieilles lunes ne m’intéressent pas : ce sont les solutions pérennes et durables dont la politique doit aujourd’hui s’emparer. Ce sont celles-ci que nous inventons, en nous appuyant sur les ressources qui ont toujours été celles du savoir, de la pensée et de la réflexion.
Il n’y a pas de fatalité : une démocratisation qui concilie une nécessaire ouverture et un haut degré d’exigence est possible. Car ce qui a si souvent empêché d’accorder démocratisation et exigence, ce n’est pas une opposition de nature entre ces deux termes, c’est simplement la méconnaissance des évolutions qu’un tel mouvement entraîne, et qui exigent en effet, de notre part, une politique cohérente.
Le nombre d’étudiants s’élève aujourd’hui à 2,4 millions, soit huit fois plus qu’il y a cinquante ans. Cette augmentation se poursuit d’année en année : il y a en moyenne 30 000 étudiants supplémentaires par an dans l’enseignement supérieur français. Depuis 2013 – il faut s’en réjouir – l’enseignement supérieur public a retrouvé une réelle attractivité, avec plus de 2 % de croissance annuelle, alors que l’enseignement supérieur privé, lui, stagne.
Démocratiser, cela suppose d’aider les étudiants – vous l’avez dit, cher Emeric Bréhier –, de les aider tels qu’ils sont, et d’agir contre les inégalités sociales et économiques. Tel est l’objet du travail que nous avons entrepris sur l’orientation et la meilleure information des collégiens et des lycéens sur l’après-bac.
Aider les étudiants, c’est faire en sorte que le nombre d’étudiants boursiers progresse. De fait, c’est le cas : en trois ans, il s’est accru de 5,4 %, et nous connaissons, cette année, vous l’avez rappelé, un taux de boursiers qui atteint 35 % de l’ensemble des étudiants, ce qui constitue un chiffre inédit. À côté de ces bourses étudiantes, nous avons engagé un ambitieux programme de construction de logements étudiants : au 31 décembre 2015, ce sont 21 000 places supplémentaires qui ont été créées. De fait, offrir à nos étudiants des conditions de vie décentes, c’est tout simplement favoriser leur réussite. (…) »
Benoist Apparu. Député de la Marne (4e circonscription), Membre de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, Chargé de cours à Sciences Po
« Vous avez longuement évoqué la sélection, madame la ministre. Le sujet divise la France et le mot est tabou dans notre vocabulaire politique. Il ne s’agit pas selon moi de savoir si on doit ou non sélectionner. Le système français est probablement l’un des plus sélectifs qui soient. En effet, 54 % des étudiants français sont sélectionnés à l’entrée et les autres le sont en cours ou en fin d’année lors du passage d’une année à l’autre. Il s’agit de savoir si la sélection telle qu’elle est organisée en France fonctionne bien ou pas. L’actualité du moment m’amène à évoquer la sélection entre le master 1 et le master 2. En effet, il me semble que vous devez publier très bientôt un décret fixant la liste des diplômes que vous autorisez à sélectionner les étudiants entre le M1 et le M2.
Ne faudrait-il pas profiter de cette occasion pour essayer de mieux accorder le système français et les standards internationaux ? Nous avons engagé le processus de Bologne également appelé LMD ou 3-5-8. Il faudrait organiser un système français cohérent avec le système européen comportant des niveaux de sortie clairs après trois, cinq ou huit ans d’études. Le système français demeure décalé et présente toujours des sorties après deux, trois, quatre, cinq et huit ans. Ne faut-il pas profiter de l’occasion pour clarifier les choses en plaçant la sélection à l’entrée après trois ans d’études, c’est-à-dire entre la licence et le master ? »
Thierry Mandon, Secrétaire d’État de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche
« Je ne reprendrai pas les propos qu’a tenus tout à l’heure Mme la ministre sur la méthode et le calendrier. Le nouveau décret sera publié au mois d’avril et la méthode consiste à associer les présidents d’université à son élaboration. Je réponds ainsi indirectement à M. Hetzel qui a évoqué tout à l’heure l’identification des formations déjà existantes. L’objet de ce décret est de faire ni plus ni moins. Quant à votre question, monsieur Apparu, s’il s’agit de mettre en place une sélection généralisée à l’entrée du master, cette option ne nous semble pas souhaitable au regard des objectifs que la nation doit se fixer en matière de qualification de ses jeunes.
S’il s’agit d’instaurer un moment de réflexion après la licence et avant le passage en master des étudiants en leur donnant des outils, un peu comme cela se fait après le bac lorsqu’ils entrent en première année de licence, nous y sommes favorables. En effet, il s’agit d’un choix dans un parcours étudiant. On ne fait pas mécaniquement une licence puis un master et un doctorat. En termes d’orientation, de projet personnel et de trajectoire dans la vie, cette étape doit être outillée. On peut donc envisager d’assigner aux étudiants, à l’issue de la licence, un travail complémentaire d’information, d’orientation et de conseil.
Nous disons non à la sélection mais oui à une orientation en master 1 plus outillée qu’elle ne l’est actuellement ».
Gérard Charasse. Député de l’Allier (3e circonscription) Membre de la commission des affaires étrangères, Chargé de mission d’inspection de l’enseignement technique
« Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement est attaché, comme les députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, à l’égalité d’accès aux études supérieures. Depuis une quinzaine d’années, les établissements d’enseignement supérieur pratiquent une sélection pour l’inscription des étudiants en première et en deuxième années de master, révélant, par cette pratique, le caractère inabouti de la réforme de l’organisation licence-master-doctorat – LMD.
Après que de nombreux cas ont été portés devant les tribunaux administratifs concernant des étudiants recalés en deuxième année de master, soit au niveau bac +5, le Conseil d’État a statué, le 10 février, sur ce phénomène à la fois admis et répandu. Il a estimé qu’une telle sélection resterait illégale tant qu’une mesure réglementaire ne serait pas prise.
À cette même date, vous avez annoncé, monsieur le secrétaire d’État, que le Gouvernement prendrait dans les prochains jours un décret permettant de sécuriser le fonctionnement actuel du cycle de master, dès la prochaine rentrée universitaire. Ce décret fixera-t-il la liste des formations dans lesquelles l’admission pourra être soumise à conditions, telles que le dossier de l’étudiant ou la capacité d’accueil des enseignants ? Ces précisions sont très attendues du milieu étudiant ; il s’agit aussi de conforter l’autonomie de gestion des établissements d’enseignement supérieur et le cadre national des diplômes. »