En un an, Me Florent Verdier est devenu l’homme providentiel des étudiants retoqués à l’entrée de l’année de master 2. Au point d’ébranler l’université. Rencontre.
« L’audience est ouverte. » Le juge des référés, mince barbe rousse, visage impénétrable, vient d’entrer. Face à lui, la salle du tribunal administratif d’Orléans, à deux pas de la cathédrale aux tours couronnées, est presque vide : deux hommes à droite, en jeans, et à gauche, un jeune avocat grand, très brun. Les deux premiers représentent l’université d’Orléans. Quant à l’avocat, il défend un étudiant en géologie titulaire d’un master 1 (l’équivalent d’un bac +4 aujourd’hui), mais que l’université a refusé d’inscrire en master 2 (bac +5).
Rien que de très banal : à l’entrée du master 2, toutes les universités de France et de Navarre ne sélectionnent-elles pas à pleines brassées ? Sauf qu’elles n’en ont pas le droit. Dans le maquis des textes juridiques, il en existe bien un qui aurait pu autoriser les universités à le faire, le fameux article L.612-6 du Code de l’éducation, mais le décret d’application n’est jamais sorti. Pas de décret, pas de droit.
C’est ce que vient plaider l’avocat. Chaque année, comme son client, plusieurs milliers d’étudiants se retrouvent plantés au milieu du gué, sans solution pour continuer leur cursus en master 2. Pour ceux qui se rebiffent, Me Verdier, 35 ans, est devenu l’homme providentiel.
Le doute du juge
Il prend la parole. Le timbre grave, avec une pointe d’accent du midi, il explique comment ce refus d’inscription est illégal : « La loi LMD [Licence Master Doctorat, NDLR] de 2006 qui réorganisait les études universitaires a fait du master un cycle indivisible », rappelle-t-il. « Il ne peut pas être interrompu au milieu. »
Les deux hommes de l’université semblent mal à l’aise. Le premier, du département des affaires juridiques, cite à son tour un arrêté qui autorisait la sélection à l’entrée du master, mais c’était du temps où il appartenait au « troisième cycle » des études. Or le master aujourd’hui est un diplôme de « deuxième cycle ». Aux prises avec l’empilement des lois, décrets et arrêtés, il peine à dérouler un raisonnement qui se tient.
« Je suis très ennuyé », reconnaît le juge Franck Coquet, en fixant le mur du fond de la salle. J’ai bien compris qu’en pratique, la barrière entre le M1 et le M2 existe, mais pour la base textuelle, c’est… compliqué. »
Et il poursuit, comme pour lui-même : « J’ai lu le Code de l’Education, j’ai été surpris de ne pas y trouver le mot de ‘sélection. On sent bien la peur du gouvernement de mettre les étudiants dans la rue… ». L’audience est bientôt levée.
« J’ai senti qu’il y avait un gros lézard ! »
Ce soir-là à Orléans, assis devant un verre de Sancerre, imposant, les yeux clairs, Me Verdier est sur un nuage. Ce scandale est son affaire. « Ces temps-ci, les refus d’inscription en master 2 m’occupent plein temps », dit-il. Alors il court les tribunaux administratifs aux quatre coins de la France : Besançon, Grenoble, Nice, Orléans, Rennes, Nantes, Bordeaux, Marseille –où un juge l’a trouvé « procédurier » – et bientôt Nancy. Il appelle cela « être en tournée ». Sa montée en charge l’étonne lui-même. Il a prêté serment en 2013 au barreau de Draguignan. « Je n’ai que deux ans et demi de barre », s’exclame-t-il.
Rien ne le prédestinait à porter la robe. Ses parents sont des gens modestes. Enfant, à Marseille, il se rêvait footballeur. « Je jouais déjà en défense ! » Il est le premier de sa famille à faire de « longues études », qu’il finance en faisant la plonge. « Je ne compte plus les assiettes que j’ai nettoyées. » Mais il en a conçu un amour de la bonne cuisine. Quand ses professeurs de droit le poussent à passer le barreau, lui disent qu’il a « la tchatche », il n’y croit pas. L’assurance lui vient petit à petit. Comme un gosse, il montre fièrement dans son portable un selfie avec Christiane Taubira, lors d’un congrès sur la justice du XXIe siècle en janvier 2014, où il représentait l’Union des Jeunes Avocats.
A sa sortie d’école, il est embauché dans un cabinet de droit public et administratif à Fréjus. Le hasard, ensuite. Il y a un an, une cliente lui demande conseil parce que la fac d’Aix vient de la refuser en master 2, sans lui motiver sa décision. Elle l’a eu saumâtre. Il se plonge dans le Code de l’Education, découvre le flou dans lequel se pratique la sélection entre le master 1 et et le master 2. « J’ai senti qu’il y avait un gros lézard ! » Ce sentiment se confirme quand l’université d’Aix, apprenant que cette femme a saisi un avocat, se ravise et l’inscrit illico dans la filière qu’elle demandait.
De la com’, et les dossiers arrivent
Me Verdier décide de communiquer sur ce sujet. Et comme depuis le 30 octobre 2014, les avocats peuvent faire de la pub, il se lance. « J’ai acheté mon nom de site et mon hébergeur. » Il a un beau référencement sur fond de paysage provençal. Et il est sur tous les réseaux sociaux, Facebook, Google+, Linkedin, Twitter… Au mois d’août, j’avais trois ou quatre coups de fils d’étudiants par jour. »
Au total, depuis un an, il a défendu une vingtaine de dossiers, et obtenu gain de cause pour quinze d’entre eux. Les déboutés viennent de filières aussi variées que les mathématiques, le management, le droit et la psychologie, deux disciplines particulièrement sous tension.
Claude, 23 ans, (le prénom a été changé), avait été recalée en juin dernier à l’entrée en master 2 de psychologie clinique dans une université du centre de la France. Il y avait 25 places pour 350 candidats. Par hasard, sa mère est tombée sur un article dans « Le Monde » du 27 août où Me Verdier était mentionné. « Je l’ai contacté le jour-même. C’est allé très vite », raconte la jeune fille. « La procédure était assez coûteuse, plus de 2.000 euros. L’audience a eu lieu début septembre. Deux jours après, le tribunal administratif a tranché en ma faveur « .
Depuis, Claude est inscrite, elle a commencé les cours, et le tribunal a condamné l’université à lui verser 1.000 euros de dédommagement. Mais, comme tous les autres, elle ne tient pas à être identifiée. « Je ne voudrais pas que les professeurs ou les étudiants me prennent en grippe. »
La fac déstabilisée
Une vingtaine de plaignants, c’est peu par rapport aux milliers d’étudiants qui n’ont pas trouvé de place en master 2, mais assez pour ébranler le système. A Paris, le 22 septembre dernier, Claude Goutant, la directrice de cabinet du président de Paris II Panthéon-Assas, venait de défendre l’université face à Me Verdier venu avec son client, un grand jeune homme silencieux, au regard pâle. Tout en ramassant ses dossiers après l’audience au tribunal administratif, cette femme blonde et élégante semble très affectée. « Nos masters sont d’excellentes formations, qui assurent une bonne insertion professionnelle et qui font la réputation des universités. Chaque année, nous avons 10.000 demandes pour 1.000 places, lâche-t-elle. Si nous ne pouvons plus sélectionner, c’est l’avenir de l’université qui se joue. »
Ce n’est pas le problème de Me Verdier. Il n’hésite pas à parler de l’ »état de non-droit dans lequel baigne l’université française » :
«Je suis juriste, je ne suis pas sociologue. Je veux que le service public soit construit sur des bases légales. Je n’invente rien, je mets juste des textes bout à bout. »
Les choses semblent s’accélérer ces jours-ci. Coup sur coup, les 23 et 24 septembre, les tribunaux administratifs de Lyon et de Paris, deux poids-lourds, lui ont donné raison. Un revirement spectaculaire, puisqu’ils avaient jusque-là tranché en faveur de l’université. Le 25 septembre, victoire à Orléans aussi. Les universités sont temporairement tenues d’inscrire ces étudiants dans le master 2 qu’ils demandaient, et doivent leur verser des indemnités, entre 1.000 et 2.000 euros.
Légal ou pas ?
Les tribunaux administratifs n’ont pas encore jugé « au fond » (Note de FV : 2 décisions au fond existent déjà sur le principe). Ils ne font qu’exprimer un doute sur la légalité de la sélection. Cela suffit pour mettre l’université dans tous ses états.
Déjà en mars dernier, dans un communiqué, la Conférence des présidents d’université (CPU) avait alerté le gouvernement sur » la fragilité juridique » de la sélection en M2. « Il est urgent que ce point soit réglé », écrivait l’instance de représentation des universités, « afin que nos établissements puissent pratiquer cette sélection à l’entrée en M2 sans s’exposer à des risques de contentieux ».
Le secrétariat à l’enseignement supérieur préfère botter en touche. Thierry Mandon, lors de sa conférence de presse de rentrée, reconnaît que « le problème n’a que trop duré » et qu’il y a des aspects juridiques qui méritent d’être précisés ». Mais il renvoie prudemment à un « Comité de suivi master ». Celui-ci devrait trancher d’ici la fin de l’année. En clair : attendons.
Pas de place…
Anne Fraïsse, la très remuante présidente de Montpellier 3, n’en a pas l’intention. A la rentrée, elle a dû inscrire une étudiante en master 2 après que cette dernière a fait un recours en justice. La présidente estime que plus de 400 étudiants pourraient ainsi se rebiffer. Elle explique :
« Mais on est obligé de sélectionner ! On n’a pas l’encadrement pour accepter davantage d’étudiants. En info-communication, j’avais 64 candidats pour 20 places ! Je ne vais pas en prendre 64 ! »
Elle n’a pas assez d’enseignants, ni d’entreprises qui veuillent les accueillir en stage. « Puisque le ministère ne veut pas trancher, on a fait appel au Conseil d’Etat pour avoir une décision claire ».
Comme les tribunaux administratifs depuis plus d’un an, le Conseil d’Etat ne pourra qu’émettre un doute sérieux sur la légalité de la sélection. Me Verdier attend avec impatience les premiers jugements au fond. « Grenoble doit se prononcer fin octobre », assure-t-il. Les grandes manœuvres ne font que commencer.
http://tempsreel.nouvelobs.com/education/20151002.OBS6952/florent-verdier-l-avocat-des-recales-de-la-fac.html